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Blog pour les amateurs de polars et thrillers...ainsi que pour ceux qui veulent découvrir la criminologie...

Le Crime: phénomène normal ou pathologique? (Petite approche sociologique)

Je vous propose ici une petite approche sociologique sur le "Crime".

Qu'entend-on par le concept de normal et par son corollaire, le pathologique ? Pour établir un diagnostic de la société, le sociologue doit trouver un caractère objectif permettant de distinguer « scientifiquement » le normal du pathologique et non s’en remettre au jugement que la société porte sur elle même. Ce critère Durkheim croit d’abord le trouver dans la généralité : un phénomène est normal quand on l’observe dans la plupart des sociétés d’une espèce donnée situées à un même stade de développement. Au contraire, le phénomène exceptionnel sera jugé pathologique.

           Un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution.


Ainsi dans la France de la fin du 19ème siècle, il est normal que les traditions religieuses reculent ou que la division sociale du travail se développe, car il s’agit de phénomène que l’on observe dans toutes les sociétés industrialisées.. Si ce premier critère est facile à appliquer au sociétés stables, parvenues à leur maturité, en revanche, il se révèle difficilement utilisable pour les sociétés en situation de transition entre deux régimes sociaux. Dans ce cas un phénomène peut-être général tout en étant inadapté aux nouvelles conditions d’existence de la société ; il en est ainsi par exemple d’une survivance qui se maintient par un effet d’inertie ; inversement, un phénomène exceptionnel peut constituer une innovation tout à fait adaptée aux nouvelles conditions d’existence sociale. Durkheim est donc amené à poser un second critère de normalité : l’adaptation aux besoins sociaux, aux conditions d’existence de la société. Dans un langage plus moderne on dira que le phénomène normale est fonctionnel par rapport au tout social alors que le phénomène pathologique est dysfonctionnel. Par exemple, le crime est jugé pathologique par le citoyen qui en est victime alors qu’il est un phénomène normal pour le sociologue. En effet, on ne connaît pas de société sans crime. Il s’agit donc d’un phénomène général que l’on rencontre dans toutes les sociétés (normalité de fait) et qui, de plus, est lié aux conditions de toute vie sociale (normalité de droit). Une société sans crime est impossible : à supposer que certains comportements criminels ne soient plus commis, cela signifierait que le degré de sensibilité de la conscience collective par rapport à la criminalité c’est accrue ; dès lors, des fautes plus vénielles en viendraient à être considérées elles-mêmes comme des crimes. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait supposer une totale homogénéité de l’état de la conscience collective dans tous les esprits ; mais alors la société serait complètement figée, comme pétrifiée et donc incapable de changer. Voilà pourquoi selon Durkheim, le criminel doit être considéré comme un agent régulier de la vie sociale et dans Les règles de la méthode sociologique, il déclare que le crime a une fonction dans la société et qu'il est par conséquent normal. Il est donc possible de juger le bon fonctionnement d'une société selon la répression exercé sur les crimes.


Pour E.Durkheim, toute société prescrit des impératifs et des interdits. Par exemple, le crime est un acte qui viole un impératif ou un interdit porté par la « conscience collective », « ensemble des croyances et sentiments communs à la moyenne des membres d'une société formant un système déterminé qui a sa vie propre » .

Le crime ne sera pas défini par l’atteinte à la vie ou aux biens de la personne mais par la peine que la société lui applique. La peine constitue en effet le seul dénominateur commun à tous les actes variés que différentes sociétés qualifient de crimes. Cette définition purement formelle présente deux avantages : elle permet d’appréhender le crime à partir d’un indicateur facilement observable, la peine ; elle met sur le même plan la criminalité religieuse des sociétés primitives et les criminalité des sociétés modernes qui concerne essentiellement les atteintes aux biens et à la vie de la personne.

Si le crime est normal, la peine ne peut être un remède destiné à amender le criminel ; elle sert plutôt à réaffirmer la force de la conscience collective. La peine a donc pour fonction principale de rassurer « les honnêtes hommes » de confirmer la validité des normes et des valeurs de la société. En tant que tel, la peine est elle aussi un phénomène normal. Le couple peine/crime est normal, il exprime le rapport dialectique qui existe entre ordre social et changement social.

En revanche une augmentation trop forte de la criminalité(ou du suicide) peut-être pathologique, lorsque le phénomène mesurable statistiquement devient pathologique quand il connaît une rupture importante par rapport à sa courbe tendancielle. La régularité statistique devient alors le critère de normalité, ce qui devient discutable si on isole le phénomène de son contexte.


         D'après R.Aron , dans ces conditions, « le criminel est celui qui, dans une société, a refusé d'obéir aux lois de la cité ». Pour être fidèle à E.Durkheim, nous dirions que le criminel est celui qui dans une cité a refusé d'obéir aux lois de la société. La mise en place d'un droit répressif et l'application d'une sanction n'a pas pour objectif de dissuader de l'acte criminel. « La fonction du châtiment est de satisfaire la conscience commune » . Le crime n'est pas « dysfonctionnel » pour la société. Il est plus normal que pathologique. Il se rencontre dans toutes les sociétés et ne menace pas la solidarité de ses membres s'il demeure dans certaines limites.

           Si nous avons retenu l'exemple du crime développé par E.Durkheim, c'est parce que l'auteur part de cet exemple pour justifier son travail et qu'il en propose une perspective originale, encore de nos jours. Un acte n'est pas criminel en soi, il est socialement perçu comme criminel et il n'est pas sanctionné pour donner l'exemple mais bien pour contenter la vision particulière du monde qu'a une société donnée. « Un acte est criminel quand il offense les états forts et définis de la conscience collective » . La conclusion de Durkheim est donc qu'« on ne peut pas dire qu'un acte froisse la conscience commune parce qu'il est criminel, mais qu'il est criminel parce qu'il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu'il est un crime, mais il est un crime parce que nous le reprouvons ». Le crime n'est donc pas un acte pathologique au sens où il détruirait toute forme de solidarité entre les individus et qu'il menacerait ainsi la structure sociale, ensemble des relations, relativement stables, entre les composantes d'une société. Il a donc une fonction positive dans le fonctionnement globale de la société : il lui assure l'occasion de se satisfaire en prouvant son existence. Dans l'esprit de E.Durkheim, le statut du normal et du pathologique ne dépend donc pas de ce qu'une société juge communément comme normal ou anormale mais bien du danger que représente un acte pour la vie sociale. Un acte est pathologique s'il dérive et entretient le dysfonctionnement de la structure sociale, la vie sociale n'étant autre chose que le fonctionnement de la structure sociale.

la norme n'a aucune transcendance, si ce n'est une transcendance sociale. L'imposition de l'« ordre social » est variante selon le type de sociétés étudiées et l'époque à laquelle elles sont étudiées. « Le normal n'est ni un concept statique ou pacifique, mais un concept dynamique et polémique »


« (...) Le propre d'un objet ou d'un fait dit normal, par référence à une norme extérieure ou immanente, c'est de pouvoir être à son tour, pris comme référence d'objets ou de faits qui attendent encore de pouvoir être dit comme tels. Le normal c'est donc à la fois l'extension et l'exhibition de la norme. Il multiplie la règle en même temps qu'il l'indique. Il requiert donc hors de lui, à coté de lui et contre lui, tout ce qui lui échappe encore. Une norme tire son sens, sa fonction et sa valeur du fait de l'existence en dehors d'elle de ce qui ne correspond pas à l'exigence qu'elle sert. » G.Canguilhem, Le normal et le pathologique, PUF, Paris, 1984


C'est dans cette perspective qu'il faut penser le pathologique et l'anormal. Un comportement ou un fait est pathologique quand il est qualifié comme tel. Cependant, ce n'est pas la référence à la norme qui conduit à entreprendre une telle qualification. C'est une telle qualification qui permet de penser la norme. En effet, « le concept de droit, selon qu'il s'agit de géométrie, de morale ou de technique, qualifie ce qui résiste à son application de tordu, de tortueux ou de gauche ». Hors, si « la règle ne commence à être règle qu'en se faisant règle », « cette fonction de coercition ne surgit qu'avec l'infraction même » . Pour respecter la pensée de G .Canguilhem, il ne faudrait cependant pas affirmer que l'infraction est l'origine de la règle. « l'infraction est non l'origine de la règle mais l'origine de la régulation. Dans l'ordre du normatif, le commencement est l'infraction. Pour reprendre une expression Kantienne, nous proposerions que la condition de possibilité des règles ne fait qu'un avec la condition de possibilité de l'expérience des règles. L'expérience des règles c'est la mise à l'épreuve, dans une situation d'irrégularité, de la fonction régulatrice des règles »


C'est parce que des individus, des « sauvageons », brûlent des voitures sur leurs lieux de résidence qu'on qualifie de « cités » que l'on peut affirmer que la norme est de ne pas brûler de voitures. La norme est donc un phénomène social qui résulte d'un travail de qualification, travail qui donne à voir la mise à l'épreuve de la norme devant assurer la régulation sociale.


La norme n'est donc pas ce qui est qualifié de normal par un groupement d'individus plus ou moins dominant. L'ordre social est avant tout un processus se faisant. La forme pathologique d'un fait social est celle qui menace la solidarité entre les différentes composantes d'une société. Cette forme pathologique permet de déterminer avec précision la forme normale d'un fait social, comme peut le montrer l'exemple de la division sociale du travail.


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